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De Douce-amie à Méhoncourt

En 1326, ce lieu possédé par des moines observant la règle de Saint-Augustin se nomme Dulce Amye, évoquant la chevalerie et l'amour courtois chanté par les trouvères. Ce clos de vigne dépend de l'abbaye de Luceau (plus tard Beaulieu). Avant la Révolution, maison et terres de Douce-Amie appartiennent à Étienne Guibert, qui émigre. Vendue comme bien national en 1791, Pierre Lepelletier l'acquiert. Elle s'étendait de l'actuel château d'eau de Gazonfier jusqu'à la Vallée de Saint-Blaise. En 1848, Mr Rouvin-Foucaudière remplace la maison par un castel, sur les plans de l'architecte Delarue. C'est le château que l'on voit aujourd'hui. En 1897, le manoir est acheté par Charles Belleville ayant épousé Adélaïde Masson. Trouvé trop frivole, Douce-Amie est transformé en Méhoncourt, du nom du village natal de Madame, proche de Lunéville. Le Temple de l'Amour, élégant pavillon hexagonal situé dans le parc, est l'exacte réplique de celui que le roi René offrit en 1581, aux Baux-de-Provence, à la reine Jeanne. Décédé en 1914, le félibre Frédéric Mistral en avait fait exécuter une copie pour orner sa tombe au cimetière de Maillane.

Trente ans après, Belleville se sépare de Méhoncourt. Alexandre Gross s'y installe. Il dirige l'agence sarthoise, "Au Planteur de Caïffa", dont les triporteurs et carrioles chargés de produits coloniaux (thé, café, chocolat), parcourent les rues du Mans et la campagne. En juin 1940, le château est occupé par l'État-Major de l'armée allemande. Dans la nuit du 28 au 29, la Royal Air Force bombarde le secteur mais rate sa cible, détruisant plusieurs maisons du quartier Yzeuville. Le Gouvernement de Vichy qui a confisqué tous les biens des Gross, rend cependant Méhoncourt. À court d'argent, Alexandre se résigne à la vente et vient habiter rue de la Motte (du Capitaine-Floch). La nouvelle propriétaire, Rosa Coras, convertit la demeure en bordel militaire au service de la Wehrmatch. Douce-Amie n'est plus qu'un lointain souvenir !
Président de l'Union Générale des Israélites de France, Gross avait épousé une catholique. En 1942, 144 juifs sarthois sont arrêtés. Les Gross sont épargnés en raison de l'appartenance religieuse de l'épouse. Le 26 janvier 1944, Alexandre est transféré par la Gestapo au camp d'Auvours puis à celui de Drancy. Libéré le 17 août, il meurt un an plus tard. Méhoncourt est réquisitionné par le préfet Jean-Louis Costa pour y loger 30 enfants juifs du département recueillis dans diverses familles qui seront reconnues comme "Juste". De 1945 à 1951, l'Œuvre du Secours aux Enfants juifs prend le relais et rassemble des orphelins de parents morts en déportation. Fermé en 1954, Méhoncourt est repris par le ministère de l'Intérieur qui en fait le siège de la 10e Compagnie Républicaine de Sécurité.

En 700 ans, ce lieu aura vu passer toutes sortes de "communautés", allant des religieux cultivant la vigne à ceux faisant régner l'ordre républicain. Nos voisins teutons entendaient instaurer un autre ordre, de nature raciale, les mêmes batifolant, non pas pour le repos de leur âme mais plus joyeusement de leur corps. Aujourdh'ui, Douce-Amie et Méhoncourt font bon ménage dans l'attente, un jour, de futurs propriétaires d'ici ou d'ailleurs, ignorant probablement l'histoire mouvementée d'une belle demeure mancelle.

Daniel Levoyer